"LES PETITS BONHEURS DU QR CODE...
Liu Hu est un journaliste chinois. Comme tous ses concitoyens, il ne peut se déplacer sans son QR code. Depuis plusieurs années, ce dispositif est indispensable pour faire ses courses, se rendre au bureau, aller au restaurant, au cinéma, se déplacer en ville, voyager…
En 2017, Liu Hu est allé trop loin : dans un article, il a dénoncé la corruption au sein du gouvernement. Cela lui a coûté une condamnation et une amende.
Mais ce n’est pas tout.
Peu de temps après, il s'est soudainement rendu compte qu'il n'était plus en mesure d'acheter un billet d'avion. Le système venait de le rejeter. Idem pour les billets de train.
Puis il a découvert qu'il était incapable d'obtenir un prêt d'aucune banque, et même interdit d'acheter une propriété.
D’autres comme lui, pour s’être un peu trop exprimés sur les réseaux sociaux par exemple, ont été empêchés de louer, d’occuper des emplois particuliers. Ils ont même vu leurs comptes bancaires gelés.
Parfois, il leur est interdit de participer à des manifestations ou assemblées. Et comme il est impossible d’accéder à certaines artères sans présenter son QR code, ils seraient aussitôt repérés et lourdement sanctionnés.
Fort heureusement, nous ne vivons pas en Chine…"
Sebastien Guerr
Le crédit social chinois
J'entends absolument partout spammée l'expression "comme en Chine" qui voudrait qu'on se dirige tout droit vers un "système à la chinoise", ce que j'entends bien comme un raccourci pour dénoncer ce que nous vivons en ce moment en terme de contrôle social et c'est bien légitime vu ce qu'il se passe, sans vouloir faire un vilain jeu de mots.
Malheureusement c'est un peu vite oublier que c'est une évolution commune entre Chine et Occident dans la transformation de leurs modes de gouvernement, les points communs étant malheureusement nombreux entre régimes autoritaires et démocratiques. Du moins ce que sont devenus les régimes démocratiques.
Le système de contrôle néolibérale en occident et le système de contrôle chinois avancent de pair, on a du mal à s'en rendre compte, à faire le lien, l'un s'inspirant de l'autre à tour de rôle depuis plusieurs années maintenant, bien qu'étant deux contextes différents. Les uns envoient des experts chez les autres afin d'y recueillir des données de pratiques et s'inspirer des mécanismes à succès de l'autre.
En occident aussi nous sommes constamment connectés, interagissant en permanence sur les réseaux, avec une propension à tout noter et évaluer, des pouces bleus Facebook jusqu'au chauffeur Uber en passant par toutes sortes de services. Nous avons d'ores et déjà la possibilité de noter un nombre incalculable de choses à travers nos systèmes informatiques.
C'est précisément une des caractéristiques de nos sociétés modernes que solliciter les utilisateurs, les clients et les usagers pour évaluer tels ou tels services, produits ou même le personnel de ces services. Ainsi les entreprises sont en capacité d'évaluer leurs employés, d'optimiser leur rendement et la gestion de leurs ressources, avec également récompenses et punitions.
Il est également à souligner qu'aucun des géants GAFA qui pompent, exploitent et revendent en permanence nos données d'utilisateurs ne sont chinois, est-ce utile de le rappeler ?
La Chine également ultra connectée n'échappe pas à ce mouvement général des sociétés modernes et c'est ainsi qu'elle s'est inspirée des pratiques occidentales d'évaluation des capacités d'emprunt et de remboursement dont le Credit Score aux Etats-Unis.
"C’est au quotidien que le Credit Score peut affecter significativement votre capacité à obtenir un prêt, à louer un appartement ou même à vous qualifier pour un emploi." nous explique un site dédié aux expatriés français résidant là -bas.
Quand un autre nous précise que "le Credit Score est une note attribuée à chaque personne aux États-Unis ayant un numéro de sécurité sociale. Il est censé refléter sa capacité à rembourser ses dettes. En d’autres mots, il établit votre profil financier pour savoir si vous êtes un élève sérieux (si vous réglez vos factures et remboursez vos dettes bien et à temps) ou un mauvais payeur. Donc, plus votre note est haute, plus vous serez apprécié des banques et plus vous obtiendrez une carte de crédit ou un crédit facilement."
Ce n'est donc pas en Chine qu'il faut aller chercher l'origine d'une idée de crédit/notation utilisée pour la première fois sur des citoyens. Cela devrait déjà nous donner un indice sur les origines multiples et complexes de cette idée orwellienne et dystopique de contrôle des masses.
La Chine s'est également inspirée des théories de ludification/gamification occidentales afin de concocter son système de contrôle social. C'est un ensemble de théories utilisées dans le domaine des réseaux sociaux, des services web, des jeux et des apprentissages - entre autres - afin de rendre ces derniers plus attractifs et faciliter l'utilisation de mécaniques brutes parfois considérées trop austères pour l'utilisateur.
C'est donc bien un double mouvement, et en Chine et en Occident, avançant chacun en parallèle sur ces questions, avec des contextes certes différents, mais se rejoignant dans ce vieux phantasme policier tous deux, où chacun puise dans le réservoir d'idées de l'autre que se construit ce panoptique mondial qui menace de réduire chacun de nous, et ici et là -bas, en un vulgaire numéro.
(et je vous épargne le fait qu'on soit noté du début à la fin de nos études)