Camarades écologistes, courez chez votre marchand de journaux pour acquérir ce numéro spécial de La Décroissance ! Vous y trouverez un excellent article de Pièces et main d’œuvre (dit PMO) sur l’histoire du nucléaire français, une parodie de la BD de Jean-Marc Jancovici, ou encore un texte démolissant dix mensonges propagés par l’industrie nucléaire et ses sbires.
Un autre mythe couramment utilisé par les nucléaristes surfe sur l’imaginaire positif – et en grande partie mensonger[1] – associé à la France des Trente glorieuses, ce bon vieux temps où l’« État stratège » faisait des plans pour accélérer l’industrialisation, cramer un maximum de pétrole, démanteler la paysannerie et anéantir les écosystèmes, où l’économie du pays affichait un taux de croissance supérieur à 5 %. Par une de ces inversions de la réalité dont seule la technocratie a le secret, ce pilotage de la société pourrait, nous dit-on, être mis au service de l’écologie et du climat.
L’un des principaux artisans de ce tour de passe-passe orwellien, c’est notre ami Jancovici, ingénieur polytechnicien et business man, habitué des plateaux télévisés et des colonnes du journal Les Echos[2], propriété du célèbre zadiste Bernard Arnault. Dans une interview donnée en 2019 au magazine de mode Purple, Jancovici célèbre le modèle chinois (« la force des Chinois, c’est qu’ils connaissent les limites et savent comment les fixer ») tout en affirmant que la France « est le seul pays communiste d’Europe de l’Ouest ». Intéressant, n’est-ce pas ?
Plus loin, il ajoute :
« Après tout, historiquement, les Français ont été les champions du monde de la planification à long terme. Quand vous regardez tous les grands systèmes – les transports, les hôpitaux, le système électrique – qui nécessitent une planification à long terme pour être bien gérés, nous avons souvent créé les meilleurs systèmes au monde[3]. »
Prenons l’exemple de l’industrie nucléaire pour mesurer ensemble l’étendue de la « planification à long terme » et la « bonne gestion » de nos amis technocrates. Pour cela, j’ai retranscrit ci-dessous des extraits du film Notre Terre mourra proprement[4] réalisé par les copains du Comité centrales. Ils sont en tournée dans toute la France, allez à leur rencontre[5] ! Dans ce passage, vous trouverez notamment l’interview de Jean-Claude Zerbib, ancien ingénieur en radioprotection au Commissariat à l’énergie atomique (CEA).
« Narratrice : Dans les années 1950 et 1960, avec l’apparition des premières centrales électro-nucléaires, le développement de la recherche et la fabrication des armes atomiques, des déchets radioactifs s’accumulent. Pour s’en débarrasser, la France participe en 1967 et en 1969, à titre expérimental, à deux campagnes internationales d’immersion [dans l’océan]. Puis, on renonce à cette pratique jugée peu satisfaisante. Entre-temps, le CEA [Commissariat à l’énergie atomique] s’était mis en quête d’un lieu approprié pour développer un centre de stockage. Compte tenu des difficultés qu’il rencontre lors des premiers contacts avec les populations, c’est tout à côté de son usine de retraitement de combustible de la Hague, qu’il décide d’implanter un premier centre pour y stocker les déchets de faible et moyenne activité à vie courte. C’est le Centre de stockage de la Manche [à Digulleville], il ouvre ses portes en janvier 1969.
Jean-Claude Zerbib : Ça a été officialisé par un décret qui n’a qu’un titre. Si vous retrouvez le Journal officiel comme je l’ai fait, il y a le titre et c’est tout. Il n’y a pas de texte. Il y a marqué “autorisation de la création d’une installation pour le stockage de déchets radioactifs solides”. Ils ont creusé des fosses en pleine terre, comme si on enterrait un mort. On creusait, on mettait des déchets et on les recouvrait de terre. Ces gens n’avaient pas la professionnalisation du métier qu’ils étaient en train de faire. C’était une boîte privée qui était chargée de ça, elle ne connaissait rien au nucléaire ni aux déchets et aux risques de diffusion, parce qu’il pleut quand même beaucoup dans cette région.
[…]
Interviewer : À Digulleville, on est sur une zone humide faillée. On a stocké là, à même la terre, dans des bidons, tous les déchets des trente premières années liés aux activités de la filière nucléaire civile et militaire française. Quand l’ANDRA [Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs] débarque, ils ont été obligés de tout reconditionner en fait ?
Jean-Claude Zerbib : Non, ils ont laissé ça en l’état. Les nouvelles fosses d’entreposage ont été faites dans des conditions meilleures, c’est tout.
Interviewer : Mais les anciens déchets sont restés en l’état ?
Jean-Claude Zerbib : Oui, ils sont restés en l’état.
Interviewer : Donc aujourd’hui, ça continue à couler ?
Jean-Claude Zerbib : Oui, ça continue à pisser.
[…]
Jean-Claude Zerbib : Inévitablement, toutes les industries produisent des déchets, toutes !
Interviewer : Mais le sujet des déchets n’était jamais évoqué [concernant le nucléaire] ?
Jean-Claude Zerbib : Non, absolument pas ! Le CEA ne voulait pas entendre parler des déchets. J’ai écrit un paquet d’articles sur les déchets, mais ils s’en foutaient des déchets ! Quand on parlait des déchets, ils répondaient : “Mais attendez, on est des pionniers ! On construit des trucs et vous nous parlez de déchets !?
Interviewer : Il n’y avait aucun groupe de recherche travaillant sur les déchets ? Rien n’était appliqué aux déchets produits lors des projets expérimentaux ?
Jean-Claude Zerbib : Rien, c’était un emmerdement et puis c’est tout. »
Comme vous pouvez le constater, les stratèges planificateurs de la technocratie attachent une grande importance au long terme et font preuve d’humilité et de sagesse. Nous pouvons leur faire confiance pour sauver la planète !
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[1]
#^https://reporterre.net/Les-Trentes-Glorieuses-etaient ↑
[2]
#^https://www.lesechos.fr/@jean-marc-jancovici ↑
[3]
#^https://purple.fr/magazine/the-cosmos-issue-32/an-interview-with-jean-marc-janvovici/ ↑
[4]
#^https://youtu.be/G-dvPRtFGGY ↑
[5]
#^https://comitecentrales.noblogs.org/reveiller-les-esprits-antinucleaires/ ↑